"Mendonça monte sa baraque"

Eric Dahan | Libération, 13.06.13

Après George Benjamin l’an dernier, avec Written on Skin, le festival d’Aix a fait appel à l’un de ses élèves, le Portugais Vasco Mendonça, pour créer un ouvrage lyrique qui sera présenté en création mondiale. Le compositeur a choisi d’adapter, avec sa librettiste Sam Holcroft, une nouvelle de Julio Cortázar écrite en 1946 et intitulée Casa Tomada, qui raconte l’envahissement mystérieux d’une maison où vivent reclus, depuis des années, un frère et une sœur. La menace est-elle vraiment extérieure ? N’est-ce pas plutôt leur enfermement progressif dans des habitudes confinant au rituel qui a aliéné les habitants de cette maison ?«Bien sûr, répond Mendonça. Si la lecture politique de cette nouvelle, écrite sous la dictature, est légitime, sa portée n’en est pas moins universelle. Je l’ai découverte il y a des années, et j’ai été très impressionné. Au départ, on est dans un thriller : qui sont ces gens ? Pourquoi réagissent-ils ainsi ? On comprend progressivement que les habitants n’ont pas peur mais redoutent objectivement les conséquences de cette invasion sur leur vie quotidienne. Le mystère donc n’est plus du côté des envahisseurs, dont on ne saura jamais qui ils sont véritablement, mais du côté de ce frère et de cette sœur qui veulent à tout prix continuer à vivre selon une routine bien établie. Ce qui leur arrive est peut-être un rêve, la matérialisation magique d’une panique d’être dépossédé de soi. Encore une fois, Cortázar n’apporte aucune réponse, et j’aime cette liberté d’interprétation, car elle est très stimulante pour un compositeur.»

Be-bop. Né le 7 mars 1977 à Porto, Mendonça n’était pas prédestiné à devenir compositeur. Certes, son père médecin et sa mère professeure étaient mélomanes, et écoutaient musique baroque, classique, opéra et jazz à la maison. Mais ce n’est qu’à 14 ans que l’adolescent a eu le déclic : «Le be-bop, le cool jazz, je comprenais. Puis j’ai découvert A Love Supreme de John Coltrane, et les disques, de plus en plus free, de la fin de sa vie. Et, là, j’ai vraiment été interpellé.» Il commence donc à apprendre la guitare jazz et décide d’aller au conservatoire municipal, conscient du fait que des bases classiques sont indispensables, quelle que soit la musique que l’on veut jouer ou composer. S’il admire, comme tout le monde, le maître Wes Montgomery, Mendonça se passionne pour deux guitaristes. Le premier, John Scofield, est entré dans l’histoire avec les solos cubistes émaillant le fantastique Decoy de Miles Davis et la tournée qui suivit en 1984. Le deuxième, c’est Bill Frisell, le roi du sustain, dont les volutes atmosphériques font tout le prix du Paul Motian Trio avec le saxophoniste Joe Lovano. Sous leur influence, Mendonça compose dès l’âge de 15 ans des thèmes pour son propre groupe. Deux ans plus tard, il a une nouvelle révélation, celle de la Symphonie d’instruments à vents de Stravinsky et de la musique d’Olivier Messiaen. C’est décidé, il sera compositeur.

Après deux années passées à suivre des cours d’analyse et de composition, il part se perfectionner et rédiger sa maîtrise à Amsterdam, avant de revenir étudier deux ans de plus à Lisbonne. A la fin des années 90, il présente sa musique à George Benjamin et lui demande s’il l’accepterait comme élève pour son année de thèse, ce que le compositeur, qui fut le dernier élève d’Olivier Messiaen, accepte. «Je suis un grand admirateur de la musique de George Benjamin, car elle est au confluent de plusieurs courants actuels mais n’en demeure pas moins originale et personnelle. J’admire son grand métier, sa façon de trouver de nouvelles combinaisons musicales et sonores et de les couler dans une forme théâtrale, riche, élégante, séduisante.»

Liturgie.Le festival permettra aussi d’entendre d’autres pièces de Mendonça comme Drive, un trio pour violon, violoncelle et piano créé en 2003 dont les constants flux de notes et les superpositions de rythmes, mètres, accents et valeurs, trahissent l’influence des Clocks ligetiens et de Harrison Birtwistle. On donnera également son quatuor à cordes, intitulé Caged Symphonies, composé en 2008. La pièce alterne mouvements constants, dialogues entre instrument solo et multiples, sur le modèle des répons dans la liturgie d’église, et enfin, des mécanismes complexes combinant cycles et périodes de structures diverses. Sur le site du compositeur, on peut avoir un aperçu de son écriture avec un fragment de Ping, adaptation lyrique d’une pièce de Beckett.«L’écriture vocale de The House Taken Over sera assez différente de celle de Ping, au sens où il ne s’agit pas d’un texte abstrait mais narratif. J’ai donc essayé de trouver un équilibre entre une écriture très classique, voire belcantiste, qui serve la progression dramatique, et des interventions un peu plus audacieuses, notamment des sauts de registre typiques de l’écriture contemporaine, quand le drame et la psychologie des personnages l’exigent.»

On demande à cet ancien stagiaire de l’Académie européenne de musique, fondée par Stéphane Lissner pour le festival, ce qu’il compte enseigner aux élèves de la master class qu’il animera cette année : «Je ne veux pas influencer leur écriture mais j’aime l’idée de dialoguer et d’exprimer quelque chose avec la musique. Personnellement, la solitude du compositeur me pèse, c’est peut-être pourquoi j’aime de plus en plus partir d’un texte et travailler pour le théâtre. Pour le reste, si je comprends la nécessité esthétique et politique du sérialisme intégral, et l’esthétique du refus des compositeurs de l’avant-garde des années 60, je crois que notre époque est à l’expression et à la communication. Exprimer des choses sensibles et raffinées reste un défi excitant à relever pour tout compositeur d’aujourd’hui.»

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